Pour l'amour
de la langue française

Maraude

| 05 août 2020 | par Jean-Christophe Pellat

La famille de « maraude » est très intéressante à étudier, car elle illustre bien l'évolution de la langue et ses subtilités.

maraude

Partons du nom « maraud », dont l’origine est discutée (v. 1480) : certains y voient « le radical onomatopéique « mar(ou) » imitant le ronron ou le miaulement des chats en rut (...) avec le suffixe péjoratif ‘-aud’ » (« Dictionnaire historique de la langue française »), ce qui s’accorderait bien avec le sens de « mendiant, filou » ; d’autres le rattachent au latin « marra » (sorte de houe) et le rapprochent de « marault », qui est un artisan qui travaille le bois. Son sens, vieux aujourd’hui, est péjoratif : il « s’emploie pour désigner de façon méprisante un homme du peuple ou d'un rang social inférieur à celui du locuteur » (TLFi). « Maraud » est employé comme terme d’insulte dans le théâtre classique, au sens de « misérable, vaurien » : « Maraud, faquin, butor de pied plat ridicule! » (E. Rostand)
Sur « maraud » a été formé le verbe « marauder » (1549), d’abord « mendier », puis « pratiquer la maraude, voler ». Ce verbe a donné le nom « maraude » (1680), qui désigne le vol de denrées alimentaires dans un champ ou dans une ferme, puis l’action de rôder à la recherche de quelque chose à chaparder : « Tout chasseur trouvé en maraude ou dans un cabaret sera fusillé » (H. Pourrat). Ce verbe a aussi donné le nom d’action « maraudage » (1775), qui s’est spécialisé dans le vocabulaire juridique (1836), et le nom d’agent « maraudeur » (1679), personne qui maraude.
Ces mots (« maraud, marauder, maraudeur », ...) ont une connotation négative, évoquant des actions condamnées par la loi et la morale. Or, ce point de vue est en train d’évoluer et ces termes prennent une connotation positive. Un maraudeur est « membre d'une équipe humanitaire qui pratique la maraude » (Robert). « Marauder, c'est sillonner les rues, aller à la rencontre des sans-abri et des plus démunis afin de leur distribuer vêtements et alimentation mais surtout d'évaluer leurs besoins et de donner un peu de chaleur humaine » (Site Entraides-citoyennes). « Ils ont organisé une maraude citoyenne entre copains pour venir en aide aux SDF parisiens en période hivernale » (« Chouf online »). La maraude, une nouvelle forme de solidarité.

Jean-Christophe Pellat
Jean-Christophe Pellat est professeur émérite de linguistique française à l’Université de Strasbourg, où il a enseigné en Licence, Master et dans les préparations au CAPES et aux agrégations de Lettres. Spécialiste de grammaire et orthographe françaises (histoire, description, didactique), il est co-auteur d’un ouvrage universitaire de référence, Grammaire méthodique du français (PUF, dernière éd. 2016) et de diverses grammaires scolaires. Dans ses travaux sur la didactique de la grammaire en FLE et FLM, il s’attache à l’adaptation des notions aux différents publics concernés.