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Beckett : 30 ans déjà.

| 22 décembre 2019 | par Jean-Christophe Pellat

Samuel Beckett est mort le 22 décembre 1989 à Paris

 On le considère, avec Eugène Ionesco, comme le représentant du « théâtre de l’absurde », oubliant son roman « Murphy », publié en français en 1948 et d’autres textes. Le théâtre de Beckett joue sur le désespoir métaphysique, l’absurde existentiel d’un langage qui tourne à vide, avec un texte noyé dans les didascalies. « En attendant Godot » (1953) allie le grave et le dérisoire : pour Anouilh, ce sont « les Pensées de Pascal mises en sketches et jouées par les Fratellini », clowns célèbres. Certains ont vu dans Godot, qu’attendent Vladimir et Estragon, le mot God, une allusion, dans cette lande déserte, à un monde sans Dieu. On peut lui donner aussi une source littéraire : dans « Le Faiseur », pièce littéraire de Balzac, Mercadet, homme d’affaires ruiné, attend le retour de son associé Godeau pour rembourser ses dettes. Félicien Marceau a déjà repéré l’analogie entre les deux pièces, comme écrit Balzac : « Godeau !… Mais Godeau est un mythe !… Une fable !… Godeau, c’est un fantôme… » (« Le Faiseur », V, 6). Les quatre personnages de « Fin de partie » (1957) vivent dans des limbes, surtout Nagg et Neil logés dans des poubelles. Les corps sont mutilés, la mort vient, le dehors de ce huis-clos est vide. « Rien n’est plus drôle que le malheur », dit Nagg. Cette pièce appelle logiquement la suivante, au titre ironique, « Oh les beaux jours » (1963), long monologue porté par Madeleine Renaud, un exceptionnel moment de théâtre que nous avons eu la chance de vivre. Winnie, qui est enfoncée dans le sol, fait l’inventaire de son sac, évoque ses souvenirs, parle pour meubler le temps, comme dans un dernier souffle : « Ça pourrait être le froid éternel. (Un temps) La glace éternelle. (Un temps) Simple hasard, je présume, heureux hasard. » Que ces considérations peu réjouissantes ne vous empêchent pas cependant de vivre d’agréables fêtes de fin d’année !

Jean-Christophe Pellat
Jean-Christophe Pellat est professeur émérite de linguistique française à l’Université de Strasbourg, où il a enseigné en Licence, Master et dans les préparations au CAPES et aux agrégations de Lettres. Spécialiste de grammaire et orthographe françaises (histoire, description, didactique), il est co-auteur d’un ouvrage universitaire de référence, Grammaire méthodique du français (PUF, dernière éd. 2016) et de diverses grammaires scolaires. Dans ses travaux sur la didactique de la grammaire en FLE et FLM, il s’attache à l’adaptation des notions aux différents publics concernés.