Pour l'amour
de la langue française

Après la bicyclette, on appelle ou on gèle ?

| 29 mai 2019 | par Jean-Christophe Pellat

Introduction des accents dans la langue française

Au commencement, l’orthographe française ne connaissait pas les accents, qui furent introduits à partir du XVIe siècle, d’abord en latin, sur le modèle de l’italien. Ces accents étaient nécessaires pour distinguer les différents timbres de E, comme dans « chante » vs « chanté ». L’accent grave sur « è » s’est répandu tardivement, à la fin du XVIIe siècle. En attendant, il fallait bien indiquer le « e » ouvert bref. Pour ce faire, on a pris l’habitude de doubler la consonne qui suit « e », notamment « l » et « t » : « rebelle, planette ». Mais quand l’accent grave s’est répandu, on a pu supprimer la double consonne comme dans « planète ». Mais ce remplacement n’a pas été systématique. Ainsi donc, on a pris l’habitude de distinguer deux séries de verbes en « eler » et en « eter », qui changent le « e » muet (« appeler, geler ») en « e » ouvert devant une syllabe contenant un « e » muet. « Geler, peler, acheter » et d’autres prennent l’accent grave : « il gèle, pèle, achète ». « Appeler, renouveler, jeter » et d’autres gardent la double consonne : « il appelle, renouvelle, jette ». L’usage de nombreux verbes hésite entre ces deux séries : « déchiquette / déchiquète », « étiquette / étiquète », « harcelle / harcèle », … « Le Bon usage » (§ 791a) remarque que, dans le doute, l’usage penche pour l’accent grave. Pour simplifier la règle, les Rectifications de l’orthographe de 1990, reprenant une décision de l’Académie de 1975, proposent donc d’adopter les terminaisons en « èle » et en « ète » pour tous les verbes en « -eler » et « -eter », sauf « appeler » et « jeter », bien implantés dans l’usage courant. Cette simplification peut interpeller ou interpeler certains (pour ce verbe, l’Académie (2000) accepte les deux infinitifs, tout en précisant qu’il se conjugue comme « appeler »).

Jean-Christophe Pellat
Jean-Christophe Pellat est professeur émérite de linguistique française à l’Université de Strasbourg, où il a enseigné en Licence, Master et dans les préparations au CAPES et aux agrégations de Lettres. Spécialiste de grammaire et orthographe françaises (histoire, description, didactique), il est co-auteur d’un ouvrage universitaire de référence, Grammaire méthodique du français (PUF, dernière éd. 2016) et de diverses grammaires scolaires. Dans ses travaux sur la didactique de la grammaire en FLE et FLM, il s’attache à l’adaptation des notions aux différents publics concernés.