Le slogan publicitaire écrit « sans aucuns frais » n’est pas sans intérêt grammatical. « Aucun » est à l’origine un pronom, issu du latin populaire « *al (i) cunus » (vers 950), contraction du latin classique « aliquem unum », au sens de « un certain ». « Aucun », terme indéfini, comme « personne » et « rien », avait à l’origine le sens positif de « quelqu’un », que l’on rencontre encore dans certains contextes : « Salomon, ce voyant, fit apporter aucunes mouches à miel » (C. Marot). À force d’être employé avec « ne » dans une phrase négative, il a pris tôt (1000) une coloration négative, comme « personne » et « rien », au point de s’employer seul avec un sens négatif : « Il n'aspire à aucune gloire, à aucun bonheur » (A. Malraux). – « Leur bassesse lui causa du dégoût et aucun plaisir » (Stendhal). Mais on rencontre encore un emploi au sens positif du pronom « d’aucuns », au sens de « certains », un peu archaïsant et par ironie : « D'aucuns disent la chouette religieuse » (M. Genevoix). Le déterminant indéfini « aucun » se rencontre avec « sans », qui peut s’en passer : « sans souci » ou « sans aucun souci » ont un sens équivalent, mais l’emploi de « aucun » a une valeur emphatique. « Aucun » s’emploie le plus souvent au singulier, mais le pluriel est possible, notamment « devant des noms qui s’emploient uniquement (ou surtout) au pluriel et devant des noms qui prennent au pluriel un sens particulier » (« Le Bon usage », § 630) : « Il ne fait aucuns frais inutiles » (R. Martin du Gard) – « Aucuns apprêts » (V. Hugo). Comme au singulier avec « sans », le pluriel de « aucun » a une valeur argumentative plus forte, quand la pluralité est niée. En prime, avec « sans », le déterminant « aucun » peut se placer après le nom, plutôt abstrait, surtout au pluriel : « Qu'allaient-ils devenir, sans ressources aucunes? » (E. Zola) L’emploi et le sens de ce terme, on le voit, ne sont pas sans aucune(s) subtilité(s).
Jean-Christophe Pellat
Jean-Christophe Pellat est professeur émérite de linguistique française à l’Université de Strasbourg, où il a enseigné en Licence, Master et dans les préparations au CAPES et aux agrégations de Lettres. Spécialiste de grammaire et orthographe françaises (histoire, description, didactique), il est co-auteur d’un ouvrage universitaire de référence, Grammaire méthodique du français (PUF, dernière éd. 2016) et de diverses grammaires scolaires. Dans ses travaux sur la didactique de la grammaire en FLE et FLM, il s’attache à l’adaptation des notions aux différents publics concernés.