On dit à quelqu’un « je vous saurais gré », pour le remercier de faire quelque chose qu’on lui demande, notamment dans une lettre. Exemple au présent : « Je vous sais gré d'être là, comme je sais gré à un beau jour de luire sur ma tête » (Soulié). Cette expression figée polie, qui signifie « je vous suis reconnaissant », connait deux variantes, « savoir bon gré » et « savoir un gré infini » (à quelqu’un). Exemple : « il sut un gré extrême à sa mère de s’être conduite de la sorte » (M. Proust). Comme le sens de cette expression n’est plus analysé, on a tendance à remplacer « savoir » par « être » et on dit notamment « je vous serais gré ». Cet emploi erroné tendrait à donner un autre statut au nom « gré », le faisant basculer dans la catégorie des adjectifs, comme un attribut du sujet, qui correspond au sens premier ! Le nom « gré » est aujourd’hui surtout employé dans des locutions. Du latin « gratum », il signifie d’abord « consentement, permission », puis « reconnaissance », notamment dans cette expression. On associe ses deux faces dans « bon gré mal gré » (« qu’on le veuille ou non ») ou on l’oppose à la force dans « de gré ou de force ». Il sert aussi à former des mots courants, comme « agréer » (« consentir, approuver »), qui a donné « agréable », ou « malgré », que nous avons déjà rencontré avec « malgré que ». Bref, face aux fautes, certains pourront toujours « maugréer ».
Jean-Christophe Pellat
Jean-Christophe Pellat est professeur émérite de linguistique française à l’Université de Strasbourg, où il a enseigné en Licence, Master et dans les préparations au CAPES et aux agrégations de Lettres. Spécialiste de grammaire et orthographe françaises (histoire, description, didactique), il est co-auteur d’un ouvrage universitaire de référence, Grammaire méthodique du français (PUF, dernière éd. 2016) et de diverses grammaires scolaires. Dans ses travaux sur la didactique de la grammaire en FLE et FLM, il s’attache à l’adaptation des notions aux différents publics concernés.