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de la langue française

Norme et usage

Incessamment sous peu : un pléonasme ?

| 03 janvier 2019 | par Jean-Christophe Pellat

L’adverbe « incessamment », relié à « incessant » (1358), a d’abord signifié une durée « sans interruption » : « Je veux jusqu'au trépas incessamment pleurer / Ce que tout l'univers ne peut me réparer. » (Molière) Ce sens, aujourd’hui littéraire, est passé au second plan, par rapport au sens moderne d’immédiateté (1671), « très prochainement, sans délai, sans retard » (Robert) : « Nous devons faire incessamment une augmentation de capital, annonça Noël. » (M. Druon)

Quant à la locution « sous peu », elle associe la préposition « sous », au sens temporel « pour indiquer une durée nécessaire à l'accomplissement d'une action » (TLFi) (ex. : « sous huitaine »), et « peu », au sens de « peu de temps » : « Je crois que vous me reverrez, sous peu. Je ne languirai pas ici. » (R. Rolland)

Quand on réunit les deux, souvent avec un verbe au futur, on fabrique un beau pléonasme, « incessamment sous peu », qui semble dire deux fois la même chose. Ce peut être une forme d’insistance sur la proche réalisation d’une action future. Mais la plaisanterie n’est pas exclue, l’ironie non plus : « je reviendrai incessamment sous peu » peut être une antiphrase et signifier en réalité « vous n’êtes pas près de me revoir ». *

En dire trop peut laisser entendre le contraire.

Remarquons en passant que la langue française est riche de termes exprimant l’immédiateté, comme si l’on éprouvait le besoin de rassurer l’interlocuteur sur la réalisation rapide d’une action : « immédiatement, (tout) de suite, incessamment, sous peu (de temps) », et aussi

« incontinent », qu’on se retiendra d’employer, de peur d’être mal compris !

Jean-Christophe Pellat

Jean-Christophe Pellat est professeur de Linguistique française à l’Université Marc Bloch – Strasbourg 2.

Ses enseignements et ses recherches portent sur la grammaire et l’orthographe françaises, dans leurs dimensions historiques, descriptives et didactiques. Il est co-auteur d’un ouvrage universitaire de référence, Grammaire méthodique du français (PUF, 1994).

En complément de ses activités en France, il est responsable de différentes actions d'enseignement du français en collaboration avec des universités étrangères, notamment en Azerbaïdjan, en Iran et aux États-Unis.