Le nom féminin « espèce » est un terme de classification fondamental. Il est devenu le centre d’un groupe fonctionnant comme un déterminant complexe, « une espèce de » (1587) où il prend un sens vague : « personne ou chose qu'on ne peut définir précisément et qu'on assimile à une autre par approximation » (Le Robert) :
« après m'être aventuré sous une espèce de porte cochère dans une espèce de cour terminée vers la gauche par une espèce de corridor, j'ai débouché tout à coup sur une assez grande place parfaitement obscure et déserte » (V. Hugo).
Dans cet emploi, « espèce, façon, genre, manière, sorte, type » sont suivis d’un « pseudo-complément », constitué de « de » et d’un nom, qui détermine l’accord de l’adjectif ou du verbe.
« Quand ce complément représente l’idée principale, l’expression qui précède fonctionne plus ou moins comme un adjectif, jusqu’à signifier seulement “qq.ch. comme”, éventuellement avec une nuance péjorative, ou même jusqu’à servir simplement de renforcement (“Espèce d’imbécile !”) » (« Bon usage », § 431 a 1°) : « Il explora les bâtiments afin de pouvoir dire quelle espèce d’hôtes y revenaient » (Al. Dumas). Mais si « espèce » et les autres gardent leur sens ordinaire, ils commandent l’accord.
Mieux encore. Comme « espèce de » fonctionne comme un déterminant complexe, le nom « espèce » peut prendre le genre masculin du nom qui suit, surtout dans la langue parlée : « Un espèce de vallon » (M. Pagnol). Et cet accord par attraction se rencontre déjà au XVIIIe siècle : « Vous faites de l’entendement du philosophe un espèce de musicien » (D. Diderot). Cela donne « une espèce d’inquiétude » aux usagers.
Jean-Christophe Pellat est professeur de Linguistique française à l’Université Marc Bloch – Strasbourg 2.
Ses enseignements et ses recherches portent sur la grammaire et l’orthographe françaises, dans leurs dimensions historiques, descriptives et didactiques. Il est co-auteur d’un ouvrage universitaire de référence, Grammaire méthodique du français (PUF, 1994).
En complément de ses activités en France, il est responsable de différentes actions d'enseignement du français en collaboration avec des universités étrangères, notamment en Azerbaïdjan, en Iran et aux États-Unis.