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Pourquoi « jamais » et « toujours » se terminent-ils par un -s ?

| 04 juillet 2018 | par Jean-Christophe Pellat

Des adverbes de temps qui ont un passé historique.

Comme ces deux adverbes de temps sont liés par un sens contraire et qu’ils sont formés de la soudure de deux éléments, on pourrait rechercher la même explication du -s final. Il n’en est rien.

-  « Jamais » (1080) est composé de « ja », du latin « jam » (« déjà ») (qu’on retrouve aussi dans « déjà » et « jadis »), et de « mais », du latin « magis » (« plus »). « Ja » et « mais » étaient employés chacun seul en ancien français : « ja » indiquait que l’action est effective (« Ja sui je vostre amie » = « Je suis bien votre amie ») et « mais » signifiait « davantage » (sens gardé dans « n’en pouvoir mais » = « pas plus »). « Jamais » s’emploie comme négation de temps, mais il garde parfois un sens positif, notamment dans « à jamais », « pour jamais », au sens de « pour toujours » :

BÉRÉNICE. – Je n'écoute plus rien, et pour jamais, adieu. (J. Racine, Bérénice).

- « Toujours » (1080) est composé de « tous » et « jours », qui se sont soudés. D’abord de forme « tousiours », cet adverbe de temps indiquant surtout une longue durée a perdu son « s » interne à la fin du XVIIIe siècle :

Ce n'est plus cette richesse d'un fonds toujours inépuisable et toujours prêt à se répandre, qui fait que l'artiste trouve toujours sous la main ce qu'il lui faut. (E. Delacroix).

Donc, on peut le dire, le « -s » final de « toujours » est bien à l’origine le fameux « -s » du pluriel (= « tous les jours »). Ce n’est pas le cas pour « mais » et « jamais » qui se terminent par un « -s » dit adverbial, qu’on rencontre dans divers adverbes (« alors », « puis ») et prépositions (« après », « dès »). Dans certains cas («  mais », « plus »), ce « -s » vient du latin, dans d’autres non (« alors »). Bref, un « -s » final n’est pas toujours la marque du pluriel.

Jean-Christophe Pellat
Jean-Christophe Pellat est professeur émérite de linguistique française à l’Université de Strasbourg, où il a enseigné en Licence, Master et dans les préparations au CAPES et aux agrégations de Lettres. Spécialiste de grammaire et orthographe françaises (histoire, description, didactique), il est co-auteur d’un ouvrage universitaire de référence, Grammaire méthodique du français (PUF, dernière éd. 2016) et de diverses grammaires scolaires. Dans ses travaux sur la didactique de la grammaire en FLE et FLM, il s’attache à l’adaptation des notions aux différents publics concernés.