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« Pourquoi les noms masculins « lycée, musée » ont-ils un -e ? »

| 29 mai 2019 | par Jean-Christophe Pellat

Bien comprendre la règle de formation des adjectifs et des noms au masculin 

Dès le primaire, on apprend la règle de formation du féminin des adjectifs et des noms : « on ajoute un -e au masculin ». Si cette règle écrite peut être utile, elle a ses limites, comme quand un adjectif a la même forme au masculin et au féminin : « drôle, pauvre, triste ». Et la formation du féminin est souvent plus compliquée que l’ajout d’un -e : « berger /bergère ; blanc / blanche ; naïf / naïve ». Cette règle du -e féminin est nettement contredite par les noms masculins qui se terminent par -e, comme « lycée, musée » (d’une finale latine masculine en « eum »), et par les noms féminins en -té (d’une finale latine féminine) sans -e : « actualité, fierté, santé ». Prise comme règle absolue, elle peut provoquer des fautes : dans leurs lettres, certains Poilus écrivent constamment « santée », en appliquant cette règle apprise à l’école primaire. En fait, dans les cas de « lycée » et « santé », la logique lexicale l’emporte sur la logique grammaticale : c’est la terminaison du mot qui prime sur la règle grammaticale. Et ce qui complique les choses, c’est que le suffixe « -ée » sert à former de nombreux noms féminins : « entrée, bouchée, soirée », sur des bases verbales ou nominales. Bref, la loi des séries lexicales vient contredire ou relativiser la règle grammaticale. De quoi laisser Clara bouche bée !

Jean-Christophe Pellat
Jean-Christophe Pellat est professeur émérite de linguistique française à l’Université de Strasbourg, où il a enseigné en Licence, Master et dans les préparations au CAPES et aux agrégations de Lettres. Spécialiste de grammaire et orthographe françaises (histoire, description, didactique), il est co-auteur d’un ouvrage universitaire de référence, Grammaire méthodique du français (PUF, dernière éd. 2016) et de diverses grammaires scolaires. Dans ses travaux sur la didactique de la grammaire en FLE et FLM, il s’attache à l’adaptation des notions aux différents publics concernés.